L A T U N I S I E
et autres pays arabes
1950 -1980 - à partir de 26 ans
“La mer Opaline, immobile, fondue dans le ciel sans ligne d’horizon, ressemblait au lac de Lugano. Dans cette brume laiteuse a surgit tout blanc le bateau en provenance de Marseille. Silencieusement il prenait l’ancre et mon coeur s’est rétréci. Le bateau me ramènera en France.
Je me rappelle un autre départ en 50, où sur le pont, je regardais les côtes tunisiennes s’estomper à l’horizon et dans le brouhahas du public agité, je pleurais doucement, comme arraché d'un rêve.
J’ai vu tant de pays plus beaux. Mais je n’ai jamais eu qu’un coup de foudre en Tunisie, comme un premier amour qui ne s’efface jamais."
"En 1950 en Belgique, me sentant mal à l’aise, je cherche une issue: partir, toujours partir. Je suis née avec ce désir. Fuir.
Un rêve m’a situé le pays. C’était l’Afrique du Nord, je me trouvais parmi une foule d’arabes: Maroc, Algérie, Tunisie?
Le hasard m’a amené en Tunisie (Le Maroc et l' Algérie retardaient ce départ car il y fallait un visa) et je ne peux attendre quand le désir est là. Vaccins et valises bouclées, cinq jours après, je me trouvais dans l’avion et attachais ma ceinture au départ. Attentive, demandant la protection des dieux car toujours, j’ai gardé cette prière depuis l’enfance; bien que sans l’ombre d’angoisse, mais de la pure joie, je crois à la magie des prières."
"Quand j’ai été en Tunisie, la première fois, toute seule, je suis descendue de bateau, j’ai pris une calèche et j’ai été à l’hôtel le moins cher mais dans un quartier correcte qu’on m’avait indiqué. C’était l’après-midi, tout était blanc et chaud. Je me suis couchée et j’ai dormi jusqu’à neuf heures du soir. Sur le bateau je m’étais levée pour voir le soleil se lever, alors j’étais fatiguée.
Puis je suis sortie la nuit, au hasard des petites rues, j’avais faim. Je suis rentrée dans un petit restaurant, j’étais dans un sorte de ravissement, tout était si nouveau. J’avais l’impression de marcher dans un rêve. Il y avait quatre hommes a une table, des marins, qui m’ont fait mettre sur ma table quatre bouquets de jasmin, j’étais un peu interloquée, je pensais: ils vont m’ennuyer, mais pas du tout, c’est une coutume du pays, du moins de ce temps là. On t’envoyait des fleurs, même quand tu étais accompagnée d’un homme. Tout le monde portait du jasmin, les hommes à l’oreille. L’odeur est exquise. J’ai su tout de suite que j’allais adorer ce pays là.
Il y avait aussi à cette époque des calèches, ça existe dans le sud encore. J’en prenais une très souvent le soir, ça coutait deux fois rien. Je me promenais une heure. Il n’y avait pas de taxis, que des calèches. Et dans ce pays la douceur du soir, après la lourde chaleur de l’après-midi, est exquise, divine. C’est en Tunisie où j’ai ressenti avec le plus de force la nuit qui s’approche. J’étais avec Youss et Antoine assise sur des nattes dehors. Puis tout devint bleuté, il y a une sorte de silence, on n’entend plus de bruit, je ne sais pas bien t’expliquer, plus personne ne parle. Il y a une suspension de l’air, un arrêt de tout. Je ne sais plus combien de temps cela dure mais tout d’un coup, tu es enveloppé dans la nuit.
"Harry, Oh Harry!
Aujourd'hui, ce soir, je me sens heureuse comme tout; une joie sans aucune raison, c'est la première fois que cela se produit depuis mon arrivée.
La musique Arabe me donne envie de danser toute seule; tous ces grands seigneurs arabes sont inouïs à voir.
Oh Harry! L'Orient. Quel charme, mes yeux sont tout grands ouverts et je suis dépouillée de toute tristesse, de cette peur. J'ai envie de jouer, tous mes sens sont en éveil; j'ai envie de tourner comme une toupie. Pourvu que cet état d'âme dure. Qu'on ne vienne pas me dire qu'il faille s'enivrer pour être ivre..."
