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C O R F O U    O U    L'A P P R O C H E   D E    L A    M O R T

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Juin - Août 1954 - 29 ans -

SOUVENIRS DE CORFOU

Par Poucette 

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Club Méditerranée j’y partais travailler comme hôtesse en juin 54.

Je fuyais comme toujours, vers l’inconnu, le nouveau, ce désir de tour du monde qui m’habitait.  Nébuleuse, éreintée du voyage où j’avais la responsabilité du groupe qui m’accompagnait.

J’ai accosté cette île très tôt le matin.  La mer était laiteuse, opaline; un brouillard de chaleur nous entourait.  Je me rappelle du silence, du clapotis de l’eau et  de l’angoisse que j’ai éprouvé, surgissant du fond de mon subconscient.  J’ai pensé: “ cette île est très belle”, mais j’ai eu un désir incontrôlé de faire demi-tour, les évènements de notre vie, l’avenir est déjà en nous.

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Poucette à Corfou avant la fièvre typhoïde

    "Un mois et demi après, emportée la nuit sur une civière, couchée dans une barque grelottant de fièvre, effrayée , j’arrivais à l’hôpital où je devais rester plus de trois mois atteinte d’une très mauvaise typhoïde où j’ai lutté de toutes mes forces rassemblées, contre la mort.  

     Mon séjour à l’hôpital ressemblait à une lutte entre l’enfer et le ciel.  La souffrance, la déchéance physique, les hallucinations effrayantes, l’accalmie, le retour à la vie; les petites choses merveilleuses, le gardénia frais chaque matin sur ma table de nuit, son odeur sucrée, sa blancheur neigeuse était l’objet de tout mon attention, le violoniste qui jouait deux airs si tristes à six heures du soir chaque jour, de ces vieilles chansons grecques avec des intonations  tantôt arabes, tantôt slaves, qui me donnaient envie de hurler quand je souffrais et qui devint un ravissement et que j’attendais impatiemment dans ma période de convalescence."

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"Je l’ai côtoyée.  La Mort, c’est la Connaissance et elle est belle, sublime."

    "Mon univers était étroit et si vaste à la fois; chaque chose prenait une importance sublime, entre les quatre murs de ma chambre.  La correspondance que je recevais, l’horreur des soins humiliants, les visites, un sac de glace sur le front, un sac de glace sur le ventre brûlé, le supplice du sérum, le supplice de l’eau que j’essayais d’avaler par petites cuillères tant je craignais la cérémonie du sérum, le bain glacé pour faire tomber la fièvre, la merveilleuse mante religieuse vert tendre, entrée dan ma chambre, égarée.  La femme de ménage qui à genoux priait pour moi, et Costa - que ta présence m’a aidée!  Tu ne quittais pas ma chambre, nous faisions des projets d’avenir, je lisais l’inquiétude sur ton visage quand la fièvre remontait. Les moments où la souffrance disparaissait étaient sublimes.  Une grave maladie est un enrichissement (la perte de l’odorat, la perte de goût), le premier bouillon, le jus de raisin.

 

    Mon médecin, petit homme nerveux et si dévoué: Que j’avais foi en toi!

Quand un jour de faiblesse, de souffrance, je voulais me laisser mourir, refusai médicaments, thermomètre, piqûre, et que de force, en colère, tu me lava les dents, je cassai les thermomètres, je jetai les couvertures et pendant une semaine, je refusai de parler.  

Quand la parole m’est revenue, je m’entendais dire “non”, alors que tout mon être s’efforçais de  prononcer “oui”; cette lucidité effrayante dans la folie que l’on garde, je n’étais plus maître de mon cerveau. La nuit, je réveillais l’infirmière qui dormait dans ma chambre, je la voyais dans un brouillard emplie d’une fumée opaque; elle avait beau me rassurer, la fumée m’entourait.   Un matin, je me suis trouvée collée au plafond.  Je voyais la chambre dans cette perspective et me regardait couchée dans mon lit.  Je tombais dans un coma dont je ressortais, avec la certitude d’avoir compris le mystère de la Vie en entier; mais la mémoire se dissolvait, je n’ai pu rattraper la vérité, seule les traces m’en sont restées.  

Une simplicité, un émerveillement, cette Vérité absolue.

Je l’ai côtoyée.  La Mort c’est la Connaissance et elle est belle, sublime.

 

   Quand je luttais contre la mort, toute ma vie se déroulait à une vitesse folle, à rebours, à l’envers.  Par une corde, je me sentais tirée en arrière vers le départ et je luttais de toutes mes forces pour repartir en avant. Plus aucun contrôle de la pensée.  Je subissais avec horreur et angoisse un petit personnage, nain dessiné à l’encre de chine, grimaçant, insultant le Mal en moi qui avait pris cette forme.  Il insultait ma mère: - c’est une putain disait-il. Je hurlais: - ce n’est pas vrai! Il ricanait. C’était le Diable, le Mal, le Sale.  Je me débattais.

   Louda, infirmière dévouée, une femme forte sans beauté sauf ses yeux qui étaient admirables.  - “Je t’épiais ce jour-là,  je m’étais métamorphosée en chat.  Je regardais tes yeux, la main couchée sous ma couverture, deux doigts écartés, je les ai lancé vers tes yeux pour les crever.  C'était le Mal tout nu qui sortait de moi. Tu as rabattu ma main, tu avais soigné pendant la guerre tant de typhoïde, tu connaissais les hallucinations, la violence qu’elle crée, tu étais prudente, amusée, intéressée. 

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    Maladie effrayante et sublime à la fois, qui m’a fait avancer dans la vie, d’un grand saut, mes deux infirmières merveilleuses avec lesquelles je ne pouvais parler que par gestes, parlant grecques et moi français: Que vous m’avez aidées! Que vous étiez mal payées! Costa vous donnait des pièces d’or pour me soigner, cependant votre conscience et votre dévouement aurait été aussi grand s’il ne l’avait pas fait.

Mon coeur me l’a toujours dit.

Quelle leçon de vie j’ai reçu à l’hôpital: j’étais contagieuse et la peur existait. On venait ou on ne venait pas me voir.  J’avais des amis de travail.  Les êtres qui sont venus dans ma chambre étaient ceux qui semblaient les plus légers, les plus artificiels.  

Youpi, si jeune, vingt ans, qui partageait ma tente: égoïste, vénale, très belle, attendant de la vie, de l’homme, une situation, de l’argent, petit colibri que j’aimais bien; c’est toi qui est venue si souvent me voir et qui voulait m’embrasser pour me rassurer, m’ôter mon inquiétude. Mes amis de travail si proches ne sont jamais venus me voir. Ils avaient peur.  On ne connaît pas les autres, on se trompe toujours.  J’ai eu des visites si inattendues, et d’autres que j’attendais et qui ne sont jamais venues.  

La peur."

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Poucette convalescente après la fièvre typhoïde

Lettre de Costa à Poucette

Athènes 12-10-1954

“Je me souviendrai toujours de la toute dernière scène qui n’était autre que la “Cadenza” des deux mois de la clinique:   Je vois la lenteur et la fatigue de ta démarche; et ta main, qui alors était la seule aide pour surmonter la longue rampe; et une fois arrivée à la portière de l’avion, ton redressement m’a paru comme “Le Signe” que ta santé revenait…“

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